La dématérialisation des bourses scolaires : Entre fracture numérique et disqualification sociale

Une population « déconnectée »

Le gouvernement français ne cesse de renouveler son plan « pluriannuel » qui consiste à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale dans toutes ses formes. Elle mise notamment sur la simplification administrative avec des démarches censées être beaucoup plus fluide, rapide et facile d’accès. Mais cela étant dit, la notion de simplicité pour certains technocrates de l’administration n’est qu’une notion subjective et ce qui semblait devoir aider la population française à se sentir plus à l’aise dans ce domaine n’est désormais qu’un facteur d’exclusion comme l’a très bien expliqué Pierre Mazet, un chercheur de l’observatoire des non recours aux droits et services : « La dématérialisation a été mise en place sans que l’on se demande si les administrés sont équipés, maîtrisent les outils et les usages. La simplification, qui s’appuie sur la dématérialisation, se heurte à la fracture numérique. »

Selon plusieurs études effectuées par Emmaüs connect et Eurostat notamment, on estime à 17 % le nombre de personne se sentant « déconnectés » d’internet en France dont un bon nombre en situation de précarité et 12% n’ayant jamais utilisé internet de leur vie. Force est de constater que cet univers du numérique ne semble convenir à tout le monde et si l’objectif premier est la simplification des démarches, il apparaît que pour les personnes ayant des difficultés avec le numérique, ce phénomène n’est qu’un obstacle supplémentaire au recours à leurs droits.

            La complexité des interfaces

En effet, nous parlons ici de non recours aux droits des personnes bénéficiant de la bourse scolaire dans les collèges et lycée de France. Depuis la rentrée 2018-2019, pour obtenir une bourse scolaire il est nécessaire de faire une demande en ligne et ainsi avoir accès à un portail spécifique. Si l’administration s’exonère de nombreuses taches avec cette dématérialisation, même si la collecte de certains documents comme fiche d’imposition par exemple sont toujours d’actualité, pour l’usager mal à l’aise avec l’outil informatique il n’en est rien. La présentation du site est en réalité très linéaire et « formate les situations » comme le souligne Genneviève Koubi, une juriste ayant travaillé sur la dématérialisation et le non recours droit des aides sociales. Les différents onglets, les items proposés ne correspondent qu’a certaines catégories de personnes et/ ou de situations. Il n’y a pas la place pour les personnes ayant besoin d’une attention particulière, éprouvant une difficulté pour comprendre les informations du site et ainsi bénéficier des droits attendus. Le champ lexical souvent soutenu et comprenant des dimensions juridique n’arrange pas les choses et tend à faire renoncer les individus les plus en marge à leurs droits, en l’occurrence ici à une bourse scolaire.

L’enfant au centre de la dématérialisation : le « va et viens » engendré par l’appareil administratif

La problématique liée à cette modernité via l’outil informatique crée un flou assez complexe chez les élèves qui se retrouvent balancer de bureau en bureau, en passant par le secrétariat, l’intendance ou encore la vie scolaire. La nécessité de maîtriser un ordinateur et simplement d’en posséder n’est pas la seule contrainte car il faut également comprendre un langage parfois trop complexe et être extrêmement rigoureux concernant les étapes des différentes procédures à respecter. Et quand bien même si l’élève maîtrisait ces nouvelles technologies (ce qui est souvent le cas aujourd’hui), les responsabilités incombant l’adulte concernant la parentalité et la responsabilité légale obligent les parents à prendre connaissance des documents et y déposer leurs signatures. L’enfant se retrouve alors au centre de cette fracture numérique venant s’ajouter à une exclusion sociale dans de nombreux cas. Il devient lui aussi un marginal dans le domaine de la dématérialisation et finit, la plupart du temps, par renoncer et donner une partie des documents à un administration qui n’est souvent pas la plus habilité à traiter une demande de bourse.

Alors qu’en est-il de la volonté du gouvernement d’avancée vers de nouvelles technologies toujours plus efficace lorsque nous savons que de nombreuses personnes souffrent encore plus d’exclusion sociale via ces réformes numériques ? Est-elle réellement pertinente ? Lancer un plan d’action pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion n’est pas contradictoire avec cette démarche ? La réponse à ces questions nécessite d’être nuancée et de prendre en compte de nombreux facteurs car il est question de plusieurs acteurs avec des enjeux divers et variés.

FOURY Abdelkader.

1 Commentaire

  1. Pingback: Informatique et social : A quels aspects de l’informatique de futurs travailleurs sociaux devraient être attentifs ? – M2 IIST en commun

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *