« Certains jours, nous opérions du jour au soir »
La collaboration est synonyme d’échange, d’interactions et de partage. Nommer notre promotion ? La question ne s’était jusqu’alors jamais posée. C’était sans compter avec le module informatique… Dans un hôpital au cœur de l’Afrique, deux hommes reconstruisent les femmes. « Certains jours, nous opérions du jour au soir », se souvient cet homme au parcours si singulier. Cet homme, c’est Denis Mukwege, devenu notre bannière, notre symbole…
Denis Mukwege, l’homme qui répare les femmes
Si ce nom peut sembler moins célèbre que ceux de Nelson Mandela, Che Guevara, Thomas Sankara…, pour ne citer qu’eux, il est toutefois celui d’une personnalité bien connue, dans le domaine de l’humanitaire, du médical et du social. S’il est adulé en Occident, ainsi que par ses patientes, Denis Mukwege risque sa vie tous les jours. Sa lutte pour alerter l’opinion publique sur les exactions dont il est témoin fait qu’il est vu aujourd’hui par le gouvernement congolais comme agitateur, fauteur de troubles et diffamateur.
En effet, le « Docteur miracle », comme certains le surnomment, a fait de sa spécialité le soin apporté aux femmes et aux enfants victimes de viols. Touché par les crimes commis quotidiennement dans l’Est de la RDC, ce gynécologue/obstétricien de formation en a fait son combat. La République démocratique du Congo (ex-Zaïre) est un pays en proie, depuis des décennies à de vives violences et tueries, notamment à l’encontre de la population dans la région nommée le Kivu.
Petit rattrapage
L’Est du Congo est une zone envahie de groupes armés extrêmement violents. La population civile y subit depuis des années une guerre silencieuse et sans nom. Cette tragédie congolaise trouve un de ses points de départ dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994. À la suite de ces événements, près de 1,2 million de « Hutus » rwandais, l’ethnie majoritaire, parfois impliqués dans le génocide, ont fui vers le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, territoires situés à l’Est du Congo, ex-Zaire.
En 1996, l’armée du président zaïrois Mobutu affronte l’insurrection de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), dirigée par Laurent-Désiré Kabila. Il parvient à s’emparer de la capitale Kinshasa l’année suivante : le Zaïre devient République démocratique du Congo. Malgré ce renouveau, des rebelles se sentant trahis se soulèvent contre le gouvernement Kabila dans les deux provinces du Kivu en 1998, soutenus par le Rwanda et l’Ouganda. Le cessez-le-feu réclamé par l’ONU entre toutes les parties est conclu en 1999, mais des milices rebelles continuent depuis à sévir en République démocratique du Congo. Fragilisée par cette tension politique, la RDC est également un terrain de chasse idéal pour les pays limitrophes qui connaissent ses richesses exploitables.
Un destin hors du commun
Denis Mukwege, est né le 1er mars 1955 à Bukavu dans le Sud-Kivu en République démocratique du Congo. Fils d’un Pasteur Pentecôtiste, il obtient son diplôme de médecin en 1983, et débute sa carrière professionnelle à l’hôpital de Lemera au sud de Bukavu. Le 24 septembre 2015, il soutient sa thèse de doctorat qui a pour sujet : « Étiologie, classification et traitement des fistules traumatiques uro-génitales et génito-digestives basses dans l’est de la RDC », à l’université libre de Bruxelles.
Un temps médecin en France, il choisit, en 1989 de retourner au Congo afin de s’occuper de l’hôpital de Lemara. En 1996, l’hôpital est détruit alors que la guerre sévit à travers le pays. C’est au cours de cet événement tragique qu’il fonde l’hôpital « Panzi », tout en découvrant « la destruction volontaire et planifiée des organes génitaux des femmes ». Cette découverte sera le combat de toute sa vie, il la consacrera donc à la réparation de ces femmes, dans leur chair et dans leur dignité.
Le monde entier découvre par son intermédiaire et ses actions, l’ampleur de la barbarie sexuelle et l’arme de guerre que représente le viol, tout comme la propagation volontaire de maladies infectieuses telles que le VIH-Sida.
Au cours de l’année 2010, il reçoit la médaille Wallenberg (université du Michigan). Son combat lui vaut d’être victime de nombreuses menaces de mort et sa vie est régulièrement mise en péril. Il demeure un spécialiste mondialement reconnu et a fait l’objet de nombreuses distinctions. Nous pouvons citer à titre d’exemple le prix de « Héros pour l’Afrique », décerné en 2016 au Parlement européen par la Fondation pour l’égalité des chances en Afrique.
La fondation Panzi, pour une dignité retrouvée
La fondation Panzi a vu le jour le 12 Juin 2008 sous l’impulsion du Dr Denis Mukwege. Elle répond à deux missions principales. La première est : d’accompagner les milliers de femmes qui ont été victimes de viols et de lutter contre les violences faites à leur encontre. En deuxième lieu, de rendre actrices ses femmes. Cet engagement s’inscrit dans des valeurs telles que par exemple : rendre la femme citoyenne à part entière sur le plan, économique, politique et social.
La fondation soutient notamment, l’hôpital du même nom, dans la ville de Bukavu. Le Dr. Mukwege en est le directeur aujourd’hui.
Denis Mukwege témoigne…
« Certains jours, nous opérions du jour au soir. Les lésions étaient si particulières que les manuels médicaux ne nous étaient d’aucun secours. Nous devions trouver nos propres solutions », raconte-t-il. Très vite, il reconnaît la signature de divers groupes armés. Certains enfoncent leur baïonnette dans le sexe de leurs victimes, d’autres y tirent à bout portant ou y introduisent des bâtons enduits de plastique fondu. L’horreur. Innommable. »
Pistes de réflexion
- Peut-on faire de l’éducation à la Paix ?
- Existe-il une vision universaliste de la notion de sécurité ou cette vision est-elle dépassée ?
- La dignité peut-elle être réparée une fois atteinte ?
- Existe-t-il un droit international de genre, dans l’élaboration des réformes en matière de sécurité ?
Pour aller plus loin…
Violences sexuelles en République démocratique du Congo : « Mais que fait la police ? »
Cet article restitue de manière approfondie les enjeux et le contexte qui font actuellement l’actualité de la RDC du Congo. Il fait état des nombreuses mesures appliquées en matière de sécurité notamment concernant les violences sexuelles. En effet, la police du Congo est-elle réellement au service de la protection des citoyens ? Riche d’une bibliographie approfondie, cette lecture questionne la violence de genre, ainsi que les actions menées par la communauté internationale. Comment penser la paix au regard de cette guerre silencieuse et qui se poursuit dans l’indifférence internationale ? Que signifie la notion de protection dans un tel contexte ? Les conséquences du viol doivent faire l’objet d’une lecture allant au-delà des question physiques et psychologiques, comme nous l’indique cet extrait :
Plus qu’une violence physique, les crimes sexuels détruisent les normes sociales, déshumanisent, tant les victimes que leur entourage. En effet, une femme violée est souvent rejetée par son époux et sa famille. Elle a donc peu de chances d’être réintégrée dans sa communauté locale et encourt le risque de vivre en marge de la société . Cette stigmatisation est très difficile à résoudre.
L’homme qui répare les femmes, la colère d’Hippocrate, Thierry Michel, 2005.
Ce film est un hommage à la femme congolaise, et un hommage à une personnalité exceptionnelle dont le Congo peut être fier. Thierry Michel, réalisateur.
Censuré au Congo durant quelques semaines car dérangeant, ce film est néanmoins criant de vérité et la force de son témoignage plus que jamais vivant porte à son paroxysme cette insoutenable réalité. Il est un plaidoyer pour le combat des convictions d’un homme que les menaces de morts multiples et la corruption ne sauraient arrêter pour réparer ces femmes dans leur chair mais aussi dans leur dignité : Denis Mukwege. Les images recouvrent symbolismes et représentations. Elles dénoncent, condamnent, éclairent. Ici, elles mettent en exergue un système défaillant et les conséquences des humiliations subies. Un film pour comprendre, mais aussi plus que jamais pour faire entendre les voix des femmes Congolaises survivantes de violences sans nom…Véritable message d’espoir, ce film leur rend hommage.
Ouvrage notable : Dr Denis Mukwege, Dr Guy-Bernard Cadière, Panzi, Éditions du Moment, 2014.