Informatique et social : A quels aspects de l’informatique de futurs travailleurs sociaux devraient être attentifs ?

 

A une époque où l’influence de l’informatique se veut chaque jour plus forte on pourrait être tenté de suivre la pensé dominante qui nous fait vivre sans cesse cela comme une évolution bénéfique, le fameux « progrès ». Mais nous sommes en droit de nous questionner. En ce sens, nous tenterons de donner une lecture de ce à quoi il faudrait faire attention, de toucher du doigts quelques aspects auxquelles il faudrait être attentif en tant que travailleur social, de l’éthique, à notre façon de travailler en passant par le sens que cela va donner ou retirer à notre travail.

Être attentif à une éthique de l’informatique

Concernant l’éthique on peut se questionner sur trois aspects éminemment importants. Dans un premier temps le recueil des données qui peut être exercé par de grands groupes à des fins commerciales et/ou de surveillance. C’est bien en ce sens qu’une commission d’éthique et de déontologie à vu le jour au Conseil supérieur de travail social (CSTS)[1] afin de se pencher sur ce type de questions épineuses. On peut se demander si le rôle du travailleur social n’est pas aussi d’informer sur ce qui se trame en backstage lors d’une simple navigation sur Google.

Nous pouvons ensuite nous pencher sur une éthique du corps. En effet, nous savons à présent que l’outil informatique (ordinateur, tablette, téléphone portable) va entraîner un certain nombre de désagrément physique et psychique presque imperceptibles sur le court terme. On peut noter les troubles du sommeil, une déformation de la rétine, une incidence sur certaines hormones, un impact sur la fécondité ou encore la création d’addiction même si ce thème s’avère plus complexe.

Concernant les enfants et les adolescents, le psychiatre Serge Tisseron s’est penché sur la question du développement de ces derniers et a ainsi crée un système qui permet de se repérer dans la mise à disposition et l’apprivoisement des appareils informatiques, le 3-6-9-12[2].

On peut considérer la question de façon presque philosophique également avec le droit à l’oubli, tout étant enregistré, la perte de la valeur matérielle des choses ainsi que la perte de la valeur affective des objets qui ont animé nos vies.

Enfin pour en finir avec la question de l’éthique, qui est à notre sens le cœur du sujet, nous vous incitons à lire l’excellent article de notre collègue Abdelkader Foury sur la dématérialisation[3] qui va entraîner une fracture numérique plus forte, annuler les intermédiaires et augmenter les non recours aux droits.

Être attentif à notre façon de travailler

Il serait intéressant de se questionner également sur la distance qu’induit l’outil informatique ainsi que l’aspect déshumanisant qu’il peut faire intervenir. Dans un premier temps nous parlerons de la place de l’ordinateur dans la relation. Il peut provoquer une distance physique non voulu, subit par les acteurs ne serait-ce par la présence d’un bureau qui doit porter la machine. On voit souvent une personne derrière son bureau accueillir, rencontrer une personne de l’autre côté. L’ordinateur fait alors tiers mais bien l’un des pires. On peut se demander aussi si dans certaines situations on ne va pas passer plus de temps derrière l’écran qu’avec les personnes notamment lors de démarche administrative à rallonge, ce qui nous conduit à la question du faire « pour » qui est aussi induite par l’utilisation d’un outil qui demande une certaine pratique et que d’aucun n’aurait la patience d’accompagner à comprendre et à maîtriser si ce n’est les professionnels de la chose.

Enfin nous pouvons nous poser la question de la dépersonnalisation et de la déshumanisation que peut engendrer l’outil informatique ainsi que tous les outils qui peuvent en émerger. Le sujet devient dossier et la distance psychique vient s’ajouter à la distance physique. L’ordinateur aura bientôt le rôle des travailleurs sociaux.

Être attentif au sens de sa mise en œuvre et de son but

Nous pouvons imaginer que tout cela va nous conduire à nous éloigner de l’Autre. On peut aussi se questionner sur le sens qu’est donné à ces évolutions et à ces mises en place d’outils informatiques ou de plateformes par exemple. Tout cela est fait pour faciliter la vie des travailleurs sociaux ou pour finalement rendre l’accompagnement de personnes vulnérables ou en difficultés passagères plus complexe ? L’intérêt réel de ces avancées sont pour les institutions ou les citoyens ? La question se pose quand on observe les outils de surveillance que sont Pronote ou Sconet, on peut le voir dans les associations avec des outils de contrôle plus francs. L’intérêt économique derrière ces avancées ne se cache presque plus et si l’on avance la question du progrès avec tant de facilité c’est pour faire fuir plus vite le vrai mot qui flotte dans l’air : rentabilité.

Si tout cela est bien pessimiste, nous en avons conscience, c’est pour tendre vers plus d’attention, pour alarmer, car nous pensons que si aucun regard n’est porté sur ces questions il en va de notre liberté. Nous entendons parler fréquemment de bénéfices à toutes ces avancées, oui, mais pour quelles pertes ? Les outils informatiques sont souvent lancés précipitamment, leur activation n’est pas anticipée, ils manquent de sens auprès des équipes. Nous avons donc intérêt à nous questionner sur l’utilisation de ce que l’on nous impose et non pas sur le caractère propre de l’outil informatique qui s’avère être d’une richesse inouïe, nous ne vous apprenons rien. Enfin la question la plus importante est vers quel chemin sommes-nous emmenés avec toutes ces « progressions » ? 1984 de George Orwell était un roman. Les pages de ce dernier n’ont jamais été aussi vivante qu’aujourd’hui.

Tristan Montaclair-Le Foulgoc

[1] CSTS – Conseil Supérieur du Travail Social – « INFORMATIQUE EN ACTION SOCIALE AU REGARD DE L’ÉTHIQUE » – OASIS – Le Portail du Travail Social – http://www.travail-social.com. -octobre 2009.

[2] https://www.3-6-9-12.org/

[3] http://m2iist.encommun.org/2019/05/21/la-dematerialisation-des-bourses-scolaires-entre-fracture-numerique-et-disqualification-sociale/

A lire, à écouter :

  • Mélanie Guyonvarch , « Présentation de l’ouvrage de Ph. Bihouix et K. Mauvilly
    (2016), Le désastre de l’école numérique. Plaidoyer pour une école sans écrans », Formation emploi [En ligne], 139 | JuilletSeptembre 2017, mis en ligne le 15 octobre 2017, consulté le 23 octobre 2017. URL : http:// formationemploi.revues.org/ 5161
  • https://www.franceculture.fr/emissions/matieres a penser avec serge tisseron/ il ny a pas dinnovation numerique sans innovation pedagogique
  • http://www.gazette sante social.fr/dossiers/numerique action sociale travailleurs
    sociaux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *