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Au de-là de l’expansion rapide du numérique et de son usage au quotidien, penser le numérique comme un terrain d’intervention mérite de réfléchir à cette notion, ses défis et les enjeux qu’il suscite pour les acteurs du social. Identifier les éléments associés à la parution des problématiques, des atouts et des inconvénients et la mise en place des outils digitaux, représentet un champ d’étude prometteur et nécessaire dans l’intervention sociale.
La notion des communs numériques
Commençons par dire que les communs numériques sont des ressources gérées collectivement par une communauté qui les met à disposition de tous et s’occupe de les préserver et péreniser.[1] Cette définition explicite les points principaux sur lesquels Benjamin Coriat fonde la théorie des communs[2] : ressources, collectivité et gouvernance.
L’ensemble des acteurs et des organisations impliqués dans la réflexion et la mise en pratique des communs ou des biens communs, [3] connu comme le mouvement des communs, cherche à promulger l’accès libre aux communs. Ce mouvement s’est développé à partir d’une double opposition à l’État et au marché [4].
Si les communs numériques sont un nouvel outil de production du changement social comme l‘expliquent les experts, reconnaître le fondement de son émergence nous rappelle qu’au sein de l’action leur mise en œuvre équivaut à parler d’égalité, d’équité et de de liberté et pour autant, ceux-ci représentent un levier pour l’intervention collective des travailleurs sociaux.
Communément les professionnels du secteur social sont tournés vers une relation d’aide, de soutien, d’encouragement des personnes dans leur insertion et leur adaptation sociale. Ils promeuvent aussi le changement de la société à travers des techniques et des fondements théoriques les guidant. Leur champ d’action est orienté vers les autres avec l’application de leur expertise ainsi que leur connaissance.
Cependant, dans le contexte de mise en œuvre des communs numériques dans leurs pratiques, pour bien réussir l’entreprise du changement social, la mise en place des outils digitales doit se penser aussi dans le sens inverse des pratiques habituelles d’intervention sociale. Le travail social des professionnels du social se formalise dans la relation et l´échange avec autrui, mais pour le cas de la mise en œuvre des communs numériques, on peut affirmer que son action commence dans le for intérieur du professionnel même et s’étend au collectif, à la société.
Le travailleur social, les acteurs sociaux et les collectivités
L’appropiation des objectifs et l’essence des communs numériques dans l’action social passe, d’abord par le travailleur social, lui même. Pour cela il est confronté à ses propres vulnérabilités, déficits, habilités, compétences et capacités à envisager le monde du numérique dans la vrai potentialité, en tant qu’outil nouveau propre à l’intervention collective et au travail collectif.
Le travailleur social est en parallèle le sujet et référent des changements en tant qu’individu et en tant que propre objet de son intervention dans la société. Sa capacité d’engagement au travail collectif est aussi importante. Sa contribution à la production des savoirs et la régulation dans les communs numériques sont mises à l’épreuve dans l’action sociale. Le travailleur social impacte toute sphère de la société. En relation à son milieu d’action, ces capacités seront mesurées à travers des rôles qu’il occupe et son interaction avec d’autres acteurs sociaux.
En occupant une place centrale dans l’histoire des autres et au travers de la médiation des espaces institutionnels diverses, il se projette comme un acteur central dans les collectifs de travail et dans la collectivité qu’il prétend mobiliser. D’après la qualité de son intervention, le travailleur social conscient de la potentialité des communs numériques dans la vie en société et engagé à la transformation et la mobilisation des changements sociaux, réussira à agir dans son environnement et arrivera à utiliser son influence dans tout l’espace publique comme l’espace privé de la vie des personnes et de la société.
La capacité de coordonner, contribuer, gérer l’intérieur d’une communauté numérique d’appartenance, peut contribuer à la réalisation des objectifs de transformation sociale dans les différentes sphères sociales et peut croitre sa capacité d’influencer le contexte culturel plus large dans lequel il est inscrit comme individu et sujet social.
Si cette communauté arrive à se maintenir tout au long du temps, l’utilisation des communs numériques servira comme levier influenceur dans l’ensemble des systèmes et des espaces historiques-temporels que la participation des travailleurs sociaux cherche à impacter.
Les communs numériques comme un objet de recherche
On peut affirmer que les communs numériques sont des espaces propices et encore insuffisamment exploités pour une autre manière d’intervention, d’action et de participation sociale.
Penser les communs numériques en tant que terrain de recherche et territoire d’intervention sociale, impliquera de prendre en compte les trois principaux axes de théorisation de Coriat (2015)[5], les ressources, la communauté et les règles de gouvernance comme éléments de problématisation pour le travail social.
On constate que les communs numériques sont un terrain fertile pour les travailleurs sociaux et tout un objet d’étude mis à disposition de l’intervention sociale. Cependant la mobilisation et la vulgarisation de l’idée des communs numériques confronte les professionnels du secteur social face à d’autres problématiques aussi importantes au niveaux individuel et social. Cela constitue un tournant pour le sujet.
Si les travailleurs sociaux sont face à « une nouvelle révolution numérique », cette révolution n’est pas que technologique mais intellectuelle également ».
La dématérialisation des démarches administratives et l’utilisation des numériques transforment la dynamique de la communication dans l’intervention sociale. Il y a des organismes sociaux qui ont besoin de l’informatique pour pouvoir rendre des services mais à la différence d’autres services, la relation humaine est centrale pour « les travailleurs sociaux » il y a des aspects qui concernent les compétences et la capacité de mettre en place le numérique mais aussi, des enjeux éthiques à prendre en compte dans l’intervention des territoires.
L’avancement de l’informatique et technologique ne s’arrêtera jamais, pour autant le temps d’ajuster la formation et l’intervention des TS est incontournable. Ce contexte questionnable laisse à découvert les inégalités et les problématiques qui touchent les personnes concernées par le travail social à tous les niveaux inclus, les travailleurs sociaux.
Ce n’est pas une affaire éthique, ni de formation à la mobilisation des collectifs, sinon sa propre capacité à se conformer en tant que collectif des travailleurs sociaux vis-à-vis des institutions du secteur publique et privé. Dans le quotidien, la vie même des personnes à accompagner représente ce potentiel dont un des experts nous parle dans la vidéo.
Ces espaces d’intervention sont des opportunités pour les professionnels du social, trouver de nouvelles manières d’intervenir en sauvegardant l’essence même du travail social, au-delà de faciliter l’accès aux droits et aux démarches administratives.
S’il est bien connu par tous que les numériques ont un impact sur les personnes accompagnées, les professionnels, les institutions et bien entendu, il a aussi un impact direct sur la communication et les relations des acteurs. Mais si les TS cherchent à bien s’approprier des capacités des CM pour le changement social, l’adaptation des pratiques d’intervention à travers des CM reste un terrain vierge à explorer.
L’usage répandu du numérique au quotidien n’exclut pas les pratiques du travail social et cette situation généralisée, a un impact sur la communication, la relation professionnelle, la vie des personnes, la dynamique des institutions et la réalité sociale du terrain d’intervention à conquérir, à réfléchir, à construire ensemble dans un cadre de révolution numérique.
La société et les communs numériques
Le numérique facilite la collaboration en invitant les organisations provenant de tout secteur confondu, à se rapprocher sous ce langage commun. La transformation numérique des organisations les amènent à entrer dans une démarche d’ouverture et de collaboration, facilitée par le perfectionnement d’outils de travail collaboratif.
Toutes les organisations sont naturellement amenées à s’ouvrir vers l’extérieur afin de développer en interne des projets externes, et réciproquement de valoriser à l’extérieur des projets initiés en interne. [6]
Des acteurs de secteurs très divers s’intéressent aujourd’hui de près aux modèles ouverts.
Le numérique est la source d’un nouvel élan pour les mouvements des communs, de plus en plus d’acteurs publics et privés se regroupent afin de faire émerger de tels communs comme alternatives viables aux logiques des acteurs dominants du numérique.
Les principales enjeux :
- L’innovation libre
- La concurrence
- La coopération ouverte
- La collaboration
- El positionament
À l’échelle d’une organisation, l’adoption d’une démarche de communs numériques est généralement liée à la prise de conscience d’une nécessité de transformation numérique, permettant de conforter ses atouts stratégiques, de gagner en attractivité et d’attirer de nouveaux talents.
À l’échelle de la ressource, c’est aussi un gage de pérennité, d’émancipation et de résilience vis-à-vis des contributeurs.
À l’échelle d’un acteur public, le recours au modèle des communs présente l’avantage d’offrir une plus grande richesse ainsi qu’une meilleure répartition de la valeur produite par la collectivité, mais également d’engager les usagers d’un service dans une démarche de maintenance et de développement de ce dernier.
Toute la structuration du commun doit intégrer des dispositifs d’accompagnement, une animation et des pratiques qui assurent le caractère ouvert et inclusif du projet.
Engager le développement d’un commun nécessite donc un engagement sur la durée, qui ne se résoudra que lorsqu’une communauté suffisante aura rejoint le projet.
Tutoriel aux Communs Numériques et les outils associés issus de la démarche collaborative menée à Numérique(s) en Commun 2018.
Travail social, terrain et territoire d’intervention sociale
Les notions de terrain et de territoire d’intervention possèdent de multiples dimensions [7] et son utiles lors qu’on parle des communs numériques.
Nous avons pensé le territoire en tant qu’approche, comme un espace d’interaction et d’intervention sociale[8], c’est – à – dire un espace, aménagé, construit, approprié, perçu et représenté dans le travail social comme les processus institutionnels, les dispositifs, les collaborations entre acteurs, les procédures qui déterminent les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux.
Le territoire est « un savoir à construire, et à réinventer, une action complexe à coordonner, une projection de l’existence, (…) une conscience collective (…) définie comme relationnelle et donc lieu ouvert à la communication et à la connaissance » le territoire est un élément ressource. C’est pour cela que les territoires sont au cœur des politiques sociales. La notion de territoire est une approche pluridisciplinaire, utilisé en sciences humaines et sociales, avec des significations multiples, qui parle aussi de un espace appliqué à la recherche et à la pratique de la recherche.
Le terrain serait donc une positionnement méthodologique, parce qu’il est – une démarche scientifique, le terrain est un lieu d’investigation, de sens et de rencontre, une question de recherche, délimité et identifié. [9]
Ces notions demandent l’adoption d’une posture transdisciplinaire, pour révéler la complexité de la réalité qui pèse sur le quotidien des travailleurs sociaux pour ajuster leurs pratiques professionnelles, leurs compétences, par conséquent la dimension spatiale des territoires et de terrain ne peuvent être ignorées.
Le terrain des communs numériques entraîne à la fois une autre problemátique centrale pour les travailleurs sociaux. Celle du numérique dans le travail social.
Références
[1] Les communs. https://fr.wikipedia.org/wiki/Communs#cite_ref-1
[2] Benjamin Coriat (2015) cité par Clément-Fontaine, Dulong de Rosnay, Jullien & Zimmermann (2020) dans Communs numériques : une nouvelle forme d’action collective ? Récupéré de Communs numériques : une nouvelle forme d’action collective ? (openedition.org)
[3] Mouvement des biens communs. https://wiki.remixthecommons.org/index.php/Mouvement_des_communs
[4] Movement des biens communs. Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_des_biens_communs#:~:text=Le%20Mouvement%20des%20biens%20communs,communs%20ou%20des%20biens%20communs.
[5] Le retour des communs https://journals.openedition.org/regulation/11549
[6] https://labo.societenumerique.gouv.fr/2019/10/16/les-communs-numeriques-un-modele-innovant-de-developpement-des-ressources-numeriques/
[7] Alexandre Moine. Le territoire comme un outil de transdisciplinarité vers des diagnostics partagés. CIST2014 – Fronts et frontières des sciences du territoire, Collège international des sciences du territoire (CIST), Mar 2014, Paris, France. pp.284-290. ffhal-01353474f
[8] Paquot, T. (2011). Qu’est-ce qu’un « territoire » ?. Vie sociale, 2(2), 23-32. https://doi.org/10.3917/vsoc.112.0023
[9] Steck, J. (2012). Être sur le terrain, faire du terrain. Hypothèses, 1(1), 75-84. https://doi.org/10.3917/hyp.111.0075